C.S. Holling - Qu’est-ce que la Résilience ?

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science
écologie
Author

Christophe Beaucé

Published

November 16, 2020

Qu’est-ce que la Résilience ? Dans un article fondateur de 1996, l’écologue canadien, C.S. Holling, a répondu à cette question.

Les Ecosystèmes: Structure et Fonction

L’auteur commence par évoquer une incompréhension concernant la notion de résilience qui existe entre les tenants de deux disciplines: les spécialistes de l’écologie, et les ingénieurs de l’environnement (agronomes). Les premiers ont le plus souvent une formation de biologistes, les seconds ont une formation d’ingénieurs.

Or il manque aux ingénieurs une certaine compréhension des mécanismes des écosystèmes naturels. - les modifications écologiques ne sont pas continues et graduelles: elles sont plutôt épisodiques, et parfois sont des crises soudaines et des réorganisations majeures, - la répartition spatiale n’est pas uniforme, elle est discontinue, avec une texture hétérogène à plusieures échelles, - un écosystème n’a pas un seul état d’équilibre maintenu par des régulateurs (telles les machines des ingénieurs), mais il manifeste des forces déstabilisatrices, qui l’éloigne de son état d’équilibre courant. Il aura bien souvent plusieurs états d’équilibre possibles. La structure et la diversité de l’écosystème dépendent de cette dynamique. - une gestion environnementale rigide qui chercherait à obtenir des rendements constants dans un cadre contrôlé conduit à une réduction progressive de la résilience de l’écosystème, et celui-ci peut s’effondrer brusquement face des perturbations minimes qu’il auraient pu supporter autrement.

Les deux Faces de la Résilience

Dans la littérature de la science écologique, nous rencontrons deux notions différentes de la résilience: la résilience d’ingénierie (engineering resilience) et la résilience écologique (ecological resilience).

La résilience d’ingénierie a pour objet l’efficacité, la constance des valeurs, et la prévisibilité - l’ensemble des paramètres que les ingénieurs recherchent pour des systèmes sûrs, capables d’absorber les erreurs. Théoriquement, elle se base sur la notion d’état d’équilibre, la résistance aux perturbations, et la capacité à revenir rapidement à l’état d’équilibre.

La résilience écologique a pour objet la préservation du vivant, le changement, et l’imprévisibilité - aspects recherchés par les biologistes qui prennent en compte l’évolution des espèces, ainsi que la capacité de l’écosystème à absorber les perturbations. Elle se base sur la notion de multiples et changeant états d’équilibre.

Concevoir et gérer des écosystèmes demande de penser avec la résilience écologique. C’est celle-ci qui permet d’appréhender l’environnement et ses enjeux: le changement climatique, le déclin de la biodiversité, le développement durable, etc.

En réalité, les deux notions ont des objectifs différents: la résilience d’ingénierie vise au maintien de la fonction, alors que la résilience écologique vise au maintien de l’existence.

Gestion par l’Ingénierie: Conséquences et Pathologie

De nombreux cas d’études ont montré qu’une gestion d’ingénierie peut conduire à des dérèglements irréversibles de l’environnement.

Un exemple en est la désertification de prairies semi-arides dans le sud et l’est de l’Afrique. Dans cet écosystème, plusieurs variétés de plantes sont naturellement en compétition: des plantes résistantes à la sécheresse et à la pâture grâce à leurs racines profondes, et des plantes se développant mieux et plus vite dans des conditions normales - ces dernières étant davantage appréciées par les herbivores. L’écosystème est naturellement occupé par différentes espèces d’animaux herbivores. Certaines espèces dominent sur une période courte pendant laquelle ils exercent une intense pression de pâture, puis ils quittent le lieu, et sont remplacés par d’autres espèces herbivores qui ont une plus faible pression sur la végétation. Naturellement, l’écosystème bascule d’un état à l’autre: de périodes où l’espèce végétale la plus efficace domine, puis laisse la place à l’espèce végétale la plus résistante et à d’autres espèces herbivores. On a donc deux états d’équilibres différents et une oscillation de l’un à l’autre. Cette résilience écologique est perdue lorsqu’on introduit un élevage de ferme, avec un seule espèce d’herbivores qui exerce une pression de pâture uniforme et continue. La diversité de l’environnement est perdue et l’écosystème devient incapable de supporter les perturbations. Lorsque survient une sécherese, la prairie semi-aride devient soudainement un terrain aride seulement occupé par des arbustes ligneux.

L’exploitation uniforme, la recherche de la stabilité, la perte de la diversité fragilisent l’écosystème, et celui-ci peut se dégrader de façon irréversible et imprévisible à la moindre perturbation. Le même phénomène a été observé dans la gestion des ressources forestières, l’agriculture, la pêche, etc.

Le plus remarquable, c’est que cette forme d’exploitation s’accompagne aussi d’une pathologie et d’un déclin des institutions qui gèrent l’environnement de cette manière: elles deviennent myopes aux risques et le public perd confiance en elles.

Résilience Ecologique et Développement Durable

Si la gestion par l’ingénierie échoue à sauvegarder l’écosystème, comment aborder le développement durable ? Est-ce à dire qu’il faut simplement revenir à l’état naturel, et laisser la nature faire ?

Tout d’abord, il convient de vérifier l’hypothèse que la diversité renforce la résilience. L’auteur a pu le vérifier en étudiant les données de différentes espèces animales (espèces terrestres exothermes, aquatiques exothermes, et endothermes). Il se confirme que les espèces qui ont une plus grande plage de températures internes (une plus grande variabilité) sont les espèces les plus résilientes aux différences de températures extérieures. Cependant, l’interrogation reste car cela n’explique par pourquoi les espèces endothermes ont connu un tel succès dans l’Evolution.

Cela tient tout d’abord aux mécanismes de régulation des endothermes. Leur homéostasie de température est obtenue par un ensemble de cinq mécanismes différents (transpiration, etc.), chacun de ces mécanismes n’est pas parfaitement efficace en lui-même, mais ils fonctionnent dans des conditions légèrement différentes, et surtout ces mécanismes se recouvrent et agissent de concert. Il y a donc une redondance de moyens divers qui contribuent à la même fonction, en lien avec l’observation permanente de la température interne du corps de l’animal. Ce n’est pas le procédé de redondance le plus efficace ou la plus économique au sens de l’ingénieur. C’est une résilience qui se rapprocherait plutôt de la diversification recommandée dans les portefeuilles financiers. On peut définir cette notion par le terme de diversité fonctionnelle (functional diversity).

L’autre aspect fondamental, c’est que le vivant a tendance à fonctionner aux limites de l’instabilité, loin de sa position stationnaire. C’est en ces lieux que se trouvent le maximum d’informations et les meilleures opportunités. C’est ainsi que les espèces endothermes ont plus que compenser une réduction de leur variabilité thermique, par l’opportunité de pouvoir occuper de nouveaux territoires. En la faveur de l’ingénieur cette fois, c’est dans la recherche du fonctionnement optimal, à la limite des machines, que l’on retrouve certaines sciences de l’ingénieur (par exemple dans l’aéronautique, dans la conception d’avions à haute performance, qui fonctionnent aux limites de leurs capacités).

Que ce soit pour gérer l’environnement de façon durable et adaptative, ou pour développer l’humain dans toutes ces potentialités, l’exploitation doit laisser la place à la redondance, la diversification, et la flexibilité. L’acquisition de signaux faibles d’erreurs s’accompagnent de mécanismes d’action correctives. Le vivant doit pouvoir fonctionner aux limites, explorer le monde extérieur, repousser les frontières.

Conclusion

Il est possible de concevoir des institutions capables de préserver et développer durablement les ressources naturelles. Seulement, dans de nombreux cas, les institutions ne se réforment qu’à la suite de crises majeures qui demandent aux responsables une prise de conscience et un changement en profondeur. Les institutions doivent abandonner une vision locale et court-termiste pour embrasser une vision plus large (régionale) et sur le long-terme. Il s’agit d’abandonner une vision productiviste centrée sur le rendement, pour aller vers une vision centrée sur le développement durable, la prise en compte des interactions entre l’homme et son environnement. Seules celles-ci permettent l’adaptation et la résilience face aux évènements imprévus.

Le développement durable, c’est l’intégration de la connaissance à différentes échelles, l’engagement du public et des citoyens dans l’observation et l’exploration d’alternatives, et l’étude des conséquences à long terme. Cela n’est possible que si la confiance du public n’a pas été perdue. Si c’est le cas, l’institution doit d’abord penser à retrouver sa résilience et la confiance du public.

Ma Revue

Cet article de C.S. Holling, fruit de sa grande oeuvre scientifique, éclaire la notion de résilience. C’est à juste titre que l’auteur est considéré comme le fondateur de la recherche en résilience.

La résilience écologique qu’il appelle de ses voeux trouve aussi sa place dans le domaine des systèmes techniques complexes, et des systèmes numériques interconnectés en proie à de multiples risques d’incidents et d’attaques. Dans ces domaines également, le succès passe par la redondance, la diversité des moyens de défense - ce qu’on appelle en cybersécurité la défense en profondeur -, et par la vigilance des opérateurs humains.

La force de sa vaste oeuvre scientifique, c’est que non seulement elle s’applique au vivant, mais elle s’étend également à l’économie, aux institutions et au développement des sociétés humaines. En 2020, les enjeux écologiques et humains sont d’autant plus criants, nos systèmes et nos institutions sont de plus en plus fragiles. L’oeuvre de C.S. Holling nous est précieuse, il est temps de la redécouvrir.

Source: C.S. Holling - Engineering Resilience versus Ecological Resilience in Engineering within Ecological Constraints - National Academy of Engineering edited by P.C. Schulze - 1996